par Mahmoud Senadji - publié le vendredi 14 janvier 2011 sur Oumma.com
Comment interpréter les images qui nous arrivent d’Algérie et principalement celles de la jeunesse de Bab El Oued ? Comment en est-on arrivé à transformer une énergie créatrice en force destructrice ? Comment à la place du rêve, de l’amour et de l’espoir, la colère et la rage sont venues habiter le cœur de notre jeunesse ? Aurions- nous pu imaginer un jour, nous les héritiers du passé de nos pères, spoliés de leur histoire, de leur dignité d’homme mais qui ont rêvé dans un soulèvement salvateur de faire de nous des hommes libres, voir notre jeunesse, nos enfants, nos petits frères, nos neveux, poignards et sabres à la main envahir la rue, envahir l’espace médiatique pour finir par envahir nos consciences ? Comment les analphabètes d’hier, les indigènes de l’ère coloniale se sont sacrifiés pour enfanter une génération de lettrés ; laquelle a secrété une génération dont le seul mode d’expression en sa possession est l’émeute.
L’émeute. Le spectacle des adolescents brandissant des poignards et des sabres à Bab-El-oued est un séisme culturel qui nous renvoie à l’image de l’homme préhistorique, à l’homme à l’état sauvage. Ce spectacle en soi est la quintessence de l’émeute et, en tant que telle, il signe et porte le sceau définitif de la faillite totale de l’Algérie. Une faillite dans le sens où l’idée même de la cité est absente, nous sommes devenus l’exemple vivant d’une contre-société en acte.
L’émeute comme unique et seul moyen d’expression politique est fille de la faillite généralisée. L’émeute trouve son explication dans cette faillite (politique, culturelle, éthique, économique, sociétale….). L’émeute est la personnification de cette distance astronomique qui séparent les valeurs sensés régir la société et les institutions qui les incarnent. Aucune institution (administrative, financière, parlementaire, religieuse, présidentielle, gouvernementale, militaire, éducative, parentale) n’est dévouée à sa mission. Quel rapport entre les valeurs théoriques d’une société qui se définit comme révolutionnaire, moderne, musulmane et l’image réelle qu’elle donne ? La réalité est la négation totale de ce qu’elle prétend être.
Elle n’est ni révolutionnaire, ni moderne, ni musulmane. En pratique, l’Algérie du mois de janvier 2011 ne porte aucune de ces valeurs. Que sont devenus les grands idéaux porteurs d’hier : la fraternité, la justice, le courage, la dignité, l’honneur, la liberté, la citoyenneté, le savoir, le développement…. ? Des mots, des mots, ce ne sont que des mots. Ils ont fini par accomplir leur métamorphose radicale dans l’Algérie d’aujourd’hui. Là où l’émeute est le moyen de l’expression politique, la culture dominante est celle de la spoliation, de la brutalité, du mépris et de l’humiliation. Cette culture peut se prévaloir de tous les qualificatifs sauf de celui d’être une culture nationale.
Devant ce spectacle de cette jeunesse brandissant les poignards et les sabres nul ne peut faire l’économie de sa responsabilité. Et les premiers mots à l’adresse de cette jeunesse est de lui demander pardon. Pardon. Nous avons failli. Car nous avons renoncé à exercer effectivement notre citoyenneté. Et nous vous avons livré, en pleine fleur de l’âge, à des dinosaures prédateurs. Cette Algérie de bled rejala (pays des hommes) en est réduite à n’être qu’une jeunesse, laquelle s’est substituée au peuple, parce que celui-ci n’existe plus. Le slogan de la jeunesse Laa Jich ! Laa Chaab (1) ! (Ni Armée, Ni Peuple) est un véritable manifeste politique. Il est en soi programmatique. Puisque le cri du peuple est celui de la vérité et que celui-ci, démissionnaire, a laissé sa place vacante à la jeunesse, le cri de celle-ci est comme une graine qu’elle jette au sol pour nous. A nous de la nourrir et de la cultiver jusqu’à ce qu’elle nous donne des fleurs. Et si nous laissons mourir ce cri, sachons que nous sommes devant un moment historique fondateur. L’émeute porte en soi ou les germes d’une refondation sociale ou l’annonce d’un chaos généralisé. (…)
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