mardi 12 avril 2011

Côte d'Ivoire: "L'ingérence de la France est choquante", interview d'Odile Biyidi-Ayala (veuve de Mongo Beti, présidente de Survie France)

Source : JDD

Après l'arrestation hier de Laurent Gbagbo, les réactions sont partagées. Alors que certains, comme Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, y voient une bonne nouvelle et une avancée pour la démocratie et les futures élections africaines, d'autres sont plus pessimistes sur l'avenir ivoirien. Odile Biyidi-Awala, présidente de l'association Survie,qui s'oppose fermement à la Françafrique, analyse le rôle de la France dans le conflit.

Que pensez-vous du rôle de la France dans l'arrestation de Laurent Gbagbo?

Ils ont joué un rôle capital, ce sont les hélicoptères français qui ont pilonné sa résidence. Il est évident qu'il n'y aurait pas eu d'arrestation si la France n'avait pas ouvert la voie. Il y aura toujours un doute quant à savoir qui a mis la main sur Gbagbo. D'autant plus qu'hier, un porte-parole d' Alassane Ouattara a déclaré, peu après la capture de l'ancien chef d'Etat, que ce dernier avait été arrêté par les Français (information démentie le jour même par le ministère français de la Défense, Ndlr). On ne saura peut-être jamais la vérité.
Quelle est votre position quant à l'intervention de la France dans le conflit?
Je trouve cette ingérence plus que choquante. Pour comparer, au Kenya, deux camps s'opposaient aussi après l'élection présidentielle de 2007. La Grande-Bretagne, dont le Kenya était une ancienne colonie, n'a pas envoyé de troupes, cela aurait été impensable. Les deux camps kenyans, livrés à eux-mêmes ont réussi à trouver un accord et cela a fait beaucoup moins de victimes qu'en Côte d'Ivoire aujourd'hui (plus de 1.500 personnes sont mortes au Kenya contre plus d'un millier selon les premiers décomptes en Côte d'Ivoire, Ndlr).
"On aurait dû écarter à la fois Ouattara et Gbagbo"
Quelle solution aurait été préférable?
Je pense qu'on aurait dû écarter à la fois Ouattara et Gbagbo. Les élections n'étaient pas totalement crédibles, il y a eu beaucoup de fraudes. On aurait pu faire une conférence nationale et trouver d'autres candidats. Il fallait éliminer tous ceux qui ont été impliqués dans des affaires ces dix dernières années et en trouver des nouveaux. Il y a une génération en dehors des deux camps, on n’a pas fait l'effort de chercher. On a tout de suite pensé à l'intervention par la force, à l'extermination d'un camp par l'autre. C'est une solution catastrophique pour la population.
Ne pensez-vous pas que Gbagbo serait aussi resté au pouvoir même avec un autre candidat?

Laurent Gbagbo n’est pas resté pour le plaisir. Si c’était juste parce qu’il aimait le pouvoir, il aurait négocié son départ depuis longtemps. Les médias ont fait une caricature de la situation en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas si simple que ça. Les élections ont été sujettes aux fraudes. La moitié des Ivoiriens ne s’est pas rebellée par fantaisie.
Quelle est la situation de la population ivoirienne aujourd’hui?
La population est en grand danger, il y a urgence. L e pays va connaître une vague de meurtres, de viols et de règlements de comptes. C’est une affaire binaire exacerbée par les interventions militaires. Hier, on a assisté à un lynchage sous les caméras, alors imaginez ce qu’il se passe hors caméras. Le blocus de l'information va s'intensifier, on ne connaitra pas l'ampleur des exactions. L’arrestation de Gbagbo a libéré ses opposants et les violences envers ses partisans. Ces gens n’écoutent pas la radio, ni les appels au calme. Les organisations internationales se doivent aujourd’hui de protéger la population ivoirienne. La société civile, qui a toujours prêché l’apaisement et la négociation, et les associations doivent élever la voix, ce sont eux les artisans de la réconciliation.
"Je ne suis pas optimiste pour la suite"
Quel avenir pour le pays?
Je ne suis pas optimiste pour la suite. Une partie de la Côte d’Ivoire ne célèbrera pas la France. Le sentiment anti-français s’accentue, ici et dans d’autres pays africains. Les intérêts français ont déjà été visés lors de manifestations au Cameroun. La France n’y est pas populaire
L’arrestation de Gbagbo est-elle perçue comme un espoir pour les futures élections en Afrique et la démocratie?
En Afrique, ce discours fait rire! Au Cameroun, pour les prochaines élections il y a déjà plein de fraudes et personne ne dit rien. Les politiques sont hypocrites et les informations tendancieuses. Je pense qu’on sera surpris par les réactions en Afrique.

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