mercredi 26 janvier 2011

Amazigh Kateb : «Le régime est en déclin, la répression est un indicateur fort»


Amazigh Kateb

Amazigh Kateb, le fils de «son père» – le grand écrivain Kateb Yacine – chanteur et ex-leader de la célèbre formation Gnawa Diffusion,
revient sur les émeutes des jeunes en Algérie et la révolution tunisienne. Un regard sans complaisance, sans compromis ni compromission.
 
- Votre réaction à propos des émeutes en Algérie…

Mon sentiment vis-à-vis de ces émeutes balance entre, d’un côté la joie de voir que l’anesthésie du régime ne marche pas éternellement, et la tristesse de constater que 19 ans d’état d’urgence ont miné cette société et l’ont complètement disloquée.
- Votre analyse, voire votre lecture, en tant qu’idole des jeunes Algériens…
Nous n’avons plus de plateforme ni d’outil d’expression et pas plus de lieux de rencontre ou d’échange. Pas de feuille assez blanche pour pouvoir écrire l’histoire. Pas d’amnésie assez grande pour effacer le douloureux passif. Les partis sont achetés, vendus et alimentent la façade démocratique du pouvoir qu’ils feignent de contester pour, en réalité, prendre sa place. Les médias sont pour la plupart infiltrés. Il n’y a ni radio ni télévision libres. Tout est contrôlé, rien ne dépasse, seule la colère, désordonnée et sans discernement, qui se propage à la façon d’un hit sur lequel tout le monde danse sans comprendre les paroles.

- Un cri de détresse d’une jeunesse sans espoir, sans avenir ?

C’est un ensemble de facteurs qui fait la grande différence entre la révolte du peuple tunisien et celle des Algériens. La détresse est la même, ce sont les sociétés civiles qui se distinguent par quelques aspects qui ont toute leur importance. En voici quelques uns : en Tunisie, les femmes ont une vraie place socialement, et ce, depuis Bourguiba. La classe moyenne est importante et les fondamentalistes religieux n’ont jamais eu droit de cité. La répression à leur encontre fut sans précédent (les récents événements les ont apparemment sortis de leur torpeur, ils sont, comme en Algérie, les premiers à vouloir récupérer les efforts populaires). La culture tient une grande place malgré la censure et le système policier en place : à titre d’exemple, on dénombre plus de 200 festivals à vocation culturelle à travers le pays pour la seule saison d’été. Autant d’occasions pour un peuple de se rencontrer, de se mélanger, de prendre l’habitude de la mixité et de la diversité. Les Tunisiens ont pris l’habitude de se réunir, d’aller voir des spectacles, de se mélanger un tant soit peu, sans que cela soit exceptionnel comme chez nous. Cela peut paraître anodin, mais au contraire c’est très important.
- Certains se demandent pourquoi les émeutiers algériens s’en prennent à d’autres citoyens comme eux.
Pourquoi ?

La réponse est là : les masses populaires sont exclues et excluent à leur tour ceux qui ne leur ressemblent pas.
Il n’y a presque plus de culture collective à part la mosquée, ultime lieu de rassemblement et de discussion. La création, l’action et l’expression culturelle sont un ciment et un lien social indispensables à une société. Je ne parle pas de divertissement, mais du «vivre ensemble» que permet la culture, au-delà de ce qu’elle apporte de renouveau et de réflexions diverses. En Algérie, la culture reste occasionnelle. Nous avons peut-être 20 ou 30 évènements annuels.
Le dernier exemple éloquent est le Festival panafricain 2009 organisé 40 ans après le premier. A ce moment-là, Madame la ministre de la Culture déclarait dans la presse nationale que le Président voulait apporter la culture à tous les Algériens et que c’était «révolutionnaire».
De quoi s’interroger sur la fonction réelle d’une ministre de la Culture. Est-elle là pour permettre la culture ou pour justifier l’absence de cette dernière ? Ce qui est révolutionnaire, c’est le bouillonnement culturel permanent, et c’est précisément pour cette raison qu’on l’empêche en Algérie.

Suite de l'article sur le site du journal El Watan

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