"Un matin, nous découvrons un port immense : Casablanca, le Maroc.
Une nouvelle expérience commençait qui allait déchirer encore notre conscience. Une nouvelle écharde dans nos coeurs si pleins d'enthousiasme patriotique, mais d'un patriotisme d'emprunt !
Notre connaissance du Maroc remontait aux bancs de la communale : du point de vue de la géographie : un beau pays où le soleil est froid ; du point de vue de l'Histoire, un pays conquis par le Maréchal Lyautey qui déclarait que dans une colonie, il fallait montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir...
Casablanca.
Deux mondes irréconciliables.
L'Europe et ses privilèges de conquérants, de 'civilisés', les Français avec leur double supériorité de la peau et du drapeau, soutenue par le fusil.
L'Islam, le monde dévalorisé, un peuple qui vit dans le dénuement, la crasse, le désespoir, à côté d'une caste : les coloniaux qui, même quand ils sont modestes, apparaissent comme Crésus au regard de l'Arabe, le bicot affamé de pain et de dignité.
(...)
À peine étions-nous débarqués, que nous étions conduits dans le camp militaire qui nous était destiné, nous le jeunes Antillais qui nous croyions bien nés ! Nous étions jetés dans une tour de Babel avec des soldats de l'armée d'Afrique comme on disait à l'époque, venus du Tchad, du Sénégal, de Tunisie, d'Algérie, de France ! Parmi ces différents groupes, une autre classification était instaurée en fonction non de la race, mais du statut d'indigène et de celui d'européen.
Ainsi, ceux qui venaient du Sénégal, des quatre communes de plein exercice, Dakar, Thiès, Rufisque, bien que noirs comme les autres, servaient à titre d'Européens. C'était la minorité, la majorité servait à titre d'indigènes comme les soldats nord-africains qui étaient français mais musulmans ; Français de deuxième zone par rapport aux coloniaux et étrangers dans leur propre patrie, sans droit de vote mais avec une réputation bien établie : ils sont menteurs, voleurs, pour l'adjudant, souvent imbibé d'alcool et analphabète, le cerveau ramolli par le soleil africain... Ainsi ces hommes qui vont se battre pour libérer la France et combattre la discrimination raciale, sont eux-mêmes sous l'uniforme, victimes d'un racisme agressif, chosifiés, transformés en végétaux. On les appelle figuiers, melons, crouilles, crouillats, bicots...
(...)
Pour différencier les nègres venus des quatre communes du Sénégal ainsi que les Antillais, la bouée de sauvetage c'était le calot kaki que nous portions comme les Français de France, les Français aux yeux bleus venus de l'hexagone et les Français un peu basanés par le soleil et la cohabitation avec les Arabes, les Français des colonies. Les autres soldats noirs d'Afrique et nord-africains portaient la chéchia. Une autre distinction importante : nos guitounes, c'est-à-dire nos dortoirs, étaient différents et n'avaient pas le même confort.
(...)
Si par malheur ou par inattention, nous sortions tête nue et sans le calot de la dignification, au moment de rentrer au camps qui nous était réservé en tant qu'Européens, nous recevions le coup de pied et le tutoiement bestial de l'adjudant qui se mettait dans une colère jupitérienne pour dénoncer cet acte de lèse-majesté."
Marcel Manville, Les Antilles sans fard (L'Harmattan, 1992)
Une nouvelle expérience commençait qui allait déchirer encore notre conscience. Une nouvelle écharde dans nos coeurs si pleins d'enthousiasme patriotique, mais d'un patriotisme d'emprunt !
Notre connaissance du Maroc remontait aux bancs de la communale : du point de vue de la géographie : un beau pays où le soleil est froid ; du point de vue de l'Histoire, un pays conquis par le Maréchal Lyautey qui déclarait que dans une colonie, il fallait montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir...
Casablanca.
Deux mondes irréconciliables.
L'Europe et ses privilèges de conquérants, de 'civilisés', les Français avec leur double supériorité de la peau et du drapeau, soutenue par le fusil.
L'Islam, le monde dévalorisé, un peuple qui vit dans le dénuement, la crasse, le désespoir, à côté d'une caste : les coloniaux qui, même quand ils sont modestes, apparaissent comme Crésus au regard de l'Arabe, le bicot affamé de pain et de dignité.
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À peine étions-nous débarqués, que nous étions conduits dans le camp militaire qui nous était destiné, nous le jeunes Antillais qui nous croyions bien nés ! Nous étions jetés dans une tour de Babel avec des soldats de l'armée d'Afrique comme on disait à l'époque, venus du Tchad, du Sénégal, de Tunisie, d'Algérie, de France ! Parmi ces différents groupes, une autre classification était instaurée en fonction non de la race, mais du statut d'indigène et de celui d'européen.
Ainsi, ceux qui venaient du Sénégal, des quatre communes de plein exercice, Dakar, Thiès, Rufisque, bien que noirs comme les autres, servaient à titre d'Européens. C'était la minorité, la majorité servait à titre d'indigènes comme les soldats nord-africains qui étaient français mais musulmans ; Français de deuxième zone par rapport aux coloniaux et étrangers dans leur propre patrie, sans droit de vote mais avec une réputation bien établie : ils sont menteurs, voleurs, pour l'adjudant, souvent imbibé d'alcool et analphabète, le cerveau ramolli par le soleil africain... Ainsi ces hommes qui vont se battre pour libérer la France et combattre la discrimination raciale, sont eux-mêmes sous l'uniforme, victimes d'un racisme agressif, chosifiés, transformés en végétaux. On les appelle figuiers, melons, crouilles, crouillats, bicots...
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Pour différencier les nègres venus des quatre communes du Sénégal ainsi que les Antillais, la bouée de sauvetage c'était le calot kaki que nous portions comme les Français de France, les Français aux yeux bleus venus de l'hexagone et les Français un peu basanés par le soleil et la cohabitation avec les Arabes, les Français des colonies. Les autres soldats noirs d'Afrique et nord-africains portaient la chéchia. Une autre distinction importante : nos guitounes, c'est-à-dire nos dortoirs, étaient différents et n'avaient pas le même confort.
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Si par malheur ou par inattention, nous sortions tête nue et sans le calot de la dignification, au moment de rentrer au camps qui nous était réservé en tant qu'Européens, nous recevions le coup de pied et le tutoiement bestial de l'adjudant qui se mettait dans une colère jupitérienne pour dénoncer cet acte de lèse-majesté."
Marcel Manville, Les Antilles sans fard (L'Harmattan, 1992)
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