jeudi 24 février 2011

Retour sans gloire des engagés volontaires

Marcel Manville raconte les conditions pitoyables dans lesquelles ont été rapatriées les troupes antillaises, qui se sont engagées volontairement pour aller sauver "la Mère Patrie" :

"En 1943, nous avions traversé l'Atlantique dans l'autre sens, sur un paquebot transformé en transport de troupes, au milieu d'une armada de 2 000 bateaux, dont nous avons déjà parlé, transportant les trois millions d'hommes qui allaient débarquer quelque part en Europe pour l'affrontement final. En quinze jours, cependant, nous avions fait le trajet des Bermudes au Maroc.
Deux ans et demi après, l'armée française, oublieuse des combats livrés, n'avait rien trouvé d'autre que ce bateau aux moteurs usés, qui mit trois semaines à nous rapatrier dans des conditions littéralement scandaleuses. Sur le San Matéo, nous étions près de 700 Guadeloupéens, Guyanais et Martiniquais (...)
Nous étions parqués les uns contre les autres dans des shelters insalubres et nauséeux. En guise de nourriture, nous avions droit au corned-beef, les boîtes de singe comme une provocation, et aux biscuits provenant des restes de l'armée française vaincue en 1940. De nombreux soldats d'ailleurs, du fait de cette pitance, furent atteints d'intoxication alimentaire, soignée rapidement parce qu'il aurait été fâcheux que ces rescapés de la mort débarquassent sur des civières du fait de l'incroyable incurie de l'armée, mais il faut aussi le dire, de celle de l'administration coloniale. Cette dernière, en effet, était responsable car on n'aurait pas traité de cette manière les soldats de la 2è DB ou les maquisards du Vercors ou de Bretagne.
Nous étions révoltés ! Nous ne pouvions comprendre à l'époque le comportement de l'armée qui semblait vouloir nous punir pour notre engagement héroïque, stoïque même, puisque nous avons dû subir le froid, non prévu quand nous quittions la baie de Fort-de-France et les rayons du soleil des tropiques seulement inondés ce jour là des larmes de nos familles !  Un tel rapatriement sur ce bateau maudit nous avait remplis de colère et d'exaspération ! Cette épreuve de trois semaines était pourtant un symbole prémonitoire.
Partis dans la clandestinité, nous arrivons à Fort-de-France au lever du jour dans l'indifférence totale des autorités civiles et militaires. Seules les familles des survivants étaient au rendez-vous de la joie. Rendez-vous de la honte pour tous ceux qui avaient oublié et d'abord pour l'armée française qui nous avait abandonnés !"

Marcel Manville, Les Antilles sans fard, L'Harmattan (1992)

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