vendredi 18 février 2011

Frantz Fanon, l’apôtre de la violence ? par Sami Tchak


"Frantz Fanon fait partie de ces penseurs dont l’œuvre a eu un écho immédiat. Les Damnés de la terre, Peau noire masques blancs, Pour la révolution africaine, L’an V de la révolution algérienne : tous ces textes ont fait de leur auteur l’une des voix majeures de la pensée anticolonialiste, ils ont été lus, commentés, traduits et parfois instrumentalisés en Afrique, en Europe, en Asie et en Amérique. Mais, hors du contexte qui avait favorisé le bon accueil de l’œuvre de Fanon (la deuxième guerre mondiale, la guerre froide, les guerres de libération, etc.), celle-ci avait été d’abord l’objet de critiques parfois sévères avant de tomber dans un relatif oubli. Serait-elle datée au point de ne plus permettre la compréhension de certains phénomènes actuels dans le monde ? Ne peut-on pas repenser la violence à partir de ses écrits, surtout à partir des Damnés de la terre ?

Encore une fois, Fanon
Aujourd’hui, en partie grâce au livre que lui consacre Alice Cherki, le Martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) revient dans les débats. L’Unesco lui a même consacré un colloque en décembre 2001. Mais l’on est bien loin de l’engouement qu’avait suscité son œuvre dans les années 60 et 70 en Afrique, aux États-Unis, en Europe occidentale, ou Proche-Orient, au Japon et en Amérique du sud. On est loin de la place que l’auteur avait occupée, une place justifiée d’abord par l’écho de ses livres (Les Damnés de la terre a été vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en français et en anglais), et par l’intérêt que son œuvre avait suscité auprès d’autres intellectuels1. Sans aucun doute, cette œuvre avait-elle bénéficié, comme cela a toujours été le cas de toutes les pensées qui ont marqué plus ou moins une époque, d'un contexte historique favorable. Elle était née à un moment où l’identification claire des bourreaux d’un côté et des victimes de l’autre était une démarche plus que tentante, adoptée à la fois par les porte-parole des colonisés, des « damnés de la terre », et par une partie des intellectuels appartenant au camp des forts, donc des bourreaux. L’on sortait de la Seconde Guerre Mondiale pour entrer dans la guerre froide, mais aussi dans les guerres de décolonisation, une période de grandes ébullitions historiques et sociales, une période de contestations, de revendications, mais aussi de répressions : répression sanglante en Indonésie en 1965 (500 000 morts), assassinat de Patrice Lumumba au Congo, assassinat de Che Guevara en Bolivie, assassinat de Malcom X, de Martin Luther King aux États-Unis, assassinat de Ben Barka...
Cette contextualisation n’enlève rien à la complexité de la pensée de Fanon, elle explique seulement, en partie, l’accueil favorable qu’elle avait eu, en même temps qu’elle permet de comprendre aujourd’hui, plus de quarante ans après la décolonisation de l’Afrique, toutes les réserves et les critiques qu’elle suscite ou l’oubli progressif dont elle est victime."

Revue des littératures du Sud., N° 148. Penser la violence.
Juillet - septembre 2002


Suite de l'article ici (format PDF)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire