mardi 5 avril 2011

Qui massacre vraiment, en Côte d'Ivoire ? Maudits soient les yeux fermés, par Théophile Kouamouo



Source : le blog de Théophile Kouamouo, journaliste camerounais basé à Abidjan

02.04.2011

Côte d'Ivoire : maudits soient les yeux fermés

Je dois avouer quelque chose : ce blog a souvent été plus animé que ces derniers mois de crise postélectorale en Côte d'Ivoire. Le peu de contenu disponible depuis un certain temps traduit l'embarras du journaliste-blogueur dont la "marque personnelle" est forte mais qui travaille pour un ou des médias qui doivent également préserver leur marque... et qui n'ont, et c'est normal, pas toujours la même sensibilité sur un ou des sujets donnés que tel ou tel rédacteur qui publie dans leurs colonnes.
Pour ne pas déranger mes employeurs, je me suis donc évertué à ne pas trop m'exprimer sur cet espace, me contentant de relayer des papiers qui, à titre personnel, m'avaient intéressé. Je ne changerai pas de cap, et je ne livrerai pas au quotidien mes opinions personnelles. Mais je donnerai à ce blog une nouvelle vocation. Désormais - et ce, pendant le temps qu'il faudra -, il documentera de manière précise et détaillée les crimes, violations des droits de l'homme et exactions dont se rendent coupables les combattants d'Alassane Ouattara, qui contrôle désormais au moins les trois quarts du territoire ivoirien et livre la bataille d'Abidjan, avec l'appui de l'ONUCI et des forces françaises qui la soutiennent. Je publierai des témoignages vérifiés et étayés, loin du chaos manipulatoire qui s'empare du web dans des situations telles que celle que la Côte d'Ivoire connait actuellement. Je mets dans la balance ma réputation de journaliste expérimenté, ayant douze années d'expérience, ayant fait de l'investigation et en ayant payé le prix en Côte d'Ivoire.
Pourquoi ne parler que des crimes des troupes de Ouattara ? Les choses sont claires dans ma tête : les Forces de défense et de sécurité (FDS) ivoiriennes, fidèles à Gbagbo, en commettent aussi - sauf à considérer que dans la guerre, il peut avoir un camp de "purs". Cela dit, je pense que les exactions des FDS et de leurs soutiens sont largement dénoncées par les médias internationaux (c'est méritoire), souvent sur la base de simples comptes-rendus téléphoniques sans vérification (c'est problématique). En revanche, celles des pro-Ouattara sont soigneusement cachées ou peu relayées par des médias dominants qui le protègent, jusqu'à protéger leurs pires ignominies. C'est par devoir d'humanité envers les morts, les violées, les mutilés dont l'existence ne va pas dans le sens du storytelling manichéen qui structure le récit de la crise ivoirienne depuis 2000, que ce blog choisit cet axe fort. Avec l'aide de volontaires, et d'un réseau de blogueurs déjà en place, il dérangera ceux qui préfèrent fermer les yeux, passer leur chemin, et pratiquer l'indignation à géométrie variable.

02.04.2011

Epuration ethnique anti Wê à Duékoué, le témoignage d'un humanitaire de la région

Ce témoignage est celui d'un habitant de Duékoué exerçant dans l'humanitaire, qui pour des raisons évidentes, préfère garder l'anonymat. Mais qui s'engage sur l'honneur et se dit prêt à témoigner devant n'importe quelle juridiction à l'avenir. Une liste des morts et des disparus de Duékoué est déjà en train d'être constituée pour ce qui apparaît comme le massacre de plus forte ampleur dans l'histoire de la guerre en Côte d'Ivoire.

La prise de Duékoué par les FRCI (ainsi se sont baptisées les troupes de Ouattara) a eu lieu le lundi 28 mars 2011. Les journaux qui leur sont proches confirment bien cette date, dans leurs parutions de lundi et mardi. De même que l'intervention d'Alain Lobognon, porte parole de Soro. Une depêche de l'AFP est disponible à ce sujet.
Après la prise de la ville, les FDS ont replié sur Guiglo, laissant les populations aux mains des rebelles. A Guitrozon et Petit-Duékoué, toutes les populations se sont refugiées en brousse, fuyant d'éventuelles exactions. Il en est de même des populations des villages WE de DAHOUA, BAHE, PINHOU et GLAOU.
Jusqu'à mercredi, la ville de Guiglo, coincée entre Blolequin (occupée par les FRCI) et Duékoué (occupée aussi), et sans défense aucune (les FDS ont décroché vers le SUD en passant par TAÏ) n'était pas prise par les FRCI, à la grande surprise des populations. On le comprendra dans ce qui suit.
Les FRCI tenaient à massacrer les populations du quartier CARREFOUR, soupçonné d'abriter un groupe d'autodéfense. Les tueries ont eu lieu dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 mars 2011, dans le quartier "Diaye Bernard" communément connu sous le nom de "CARREFOUR". En regardant une carte GOOGLE EARTH, on peut localiser ce quartier qui a accueilli près de 9 000 réfugiés, suite aux conflits de janvier 2011 à DUEKOUE.
Il est situé à l'entrée de la ville de DUEKOUE, le long de l'axe ISSIA-DUEKOUE-MAN. Il est limité à l'EST (axe Duékoué-Issia) par une zone marécageuse qui donne sur la scierie NSD-THANRY et le camp de l'ONUCI. A l'OUEST, le quartier est bordé par les marécages du GUEMON. Ce sont ces marécages qui isolent ce quartier du centre ville. Le NORD du quartier est traversé par la route non bitumée Duékoué-Bagohouo-Kouibly. Le Nord est donc en zone rebelle, puisque le poste FDS est implanté dans le quartier. Le sud du quartier est la voie bitumée ISSIA-DUEKOUE-MAN.
Une fois la ville conquise le lundi 28 mars, les pillages ont commencé dans la nuit du lundi et se sont poursuivis toute la journée du mardi 29. Les populations étaient toutes terrées chez elles, les rebelles tirant pour couvrir leurs forfaits. Ainsi ont été pillés les hôtels Ermitage, Matchaix et Monhessea. L'hôtel en construction du politicien Séa Honoré, pourtant proche de Ouattara, a été pillé à partir du jeudi. Il en fut de même pour tous les domiciles des FDS (qui ont quitté la ville) et de tous les cadres proches de Gbagbo. Au cours des combats, des véhicules appartenant au riche commerçant DEMBA, d'origine malienne ont été brûlés. Au moins 7 gros camions, communément appélés remorques et servant au transport de cacao. Dans des circonstances non encore élucidés, l'imam Konaté, connu pour ses efforts de paix et de rassemblement et proche des cadres LMP de la région et du ministre Issa Coulibaly Malick, ex-DNC de Gbagbo, a été tué à son domicile.
Dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 mars 2011, les rebelles ont bouclé le carré du quartier CARREFOUR. Il a suffit pour cela de se positionner tout le long de l'axe DUEKOUE-ISSIA (Au Sud) et d'occuper de la même façon le Nord du Quartier. les zones EST et Ouest étant marécageuses, donc peu propices à la fuite, quelques rebelles suffisaient à empêcher toute sortie du quartier. Le reste de la troupe pouvait donc investir le quartier et se livrer à l'exécution de tout mâle ne parlant pas malinké. Les We, autochones de DUEKOUE ont donc été systématiquement massacrés, au seul motif de leur appartenance ethnique. Le CICR parle de 867 morts. Mais les disparus, les tués en brousse portent ce nombre à au moins 1200 personnes. L'objectif est de modifier le rapport démographique et électoral en faveur du RDR, dans cette région stratégique et riche, mais où les conflits fonciers sont un grand souci pour les autorités politiques.

Il convient de signaler que, devant l'ampleur des massacres et l'émoi créé, l'ONUCI s'est vue obligée de désarmer le samedi 2 avril 2011, à 15H, les rebelles postés au corridor de Guitrozon. "Pourquoi, tuez-vous tant de personnes?" s'est exclamé l'oficier marocain de l'ONUCI. A Petit-Duekoué, le même samedi vers 14H, deux rebelles qui avaient abattu sommairement des villageois ont été abattus, après sommation, par l'ONUCI.




03.04.2011

Ce sont les forces pro-Ouattara qui ont libéré les 6 000 prisonniers de la MACA

Qui a pris la responsabilité politique de libérer les prisonniers de la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan, entraînant mécaniquement une recrudescence de l'insécurité et de la confusion dans un contexte déjà troublé ? Les dépêches des agences de presse (dont l'AFP) se refusent à trancher. Le camp Gbagbo accuse le camp Ouattara. Alain Lobognon, conseiller spécial de Guillaume Soro, a rejeté cette accusation sur son compte Twitter, attribuant ce choix pour le moins irresponsable à l'adversaire. Les FDS l'auraient fait pour couvrir leur fuite.
Anciens pensionnaires de la MACA, disposant donc de bons informateurs parmi les prisonniers, le journaliste Saint-Claver Oula (rédacteur en chef du Nouveau Courrier) et moi avons enquêté sur le sujet. Nos conclusions, après vérification et recoupements.
- Ce sont "les hommes d'IB" (Ibrahim Coulibaly, qui passe pour être la tête du "commando invisible" pro-Ouattara à Abidjan) qui ont libéré les prisonniers. Les détenus de droit commun, les prévenus et les bandits de grand chemin.
- Les prisonniers ont été conduits à Abobo PK 18, où les combattants pro-Ouattara ont tenté de les convaincre de s'enrôler auprès d'eux parce que c'est sous le régime Gbagbo qu'ils auraient été emprisonnés. Ceux qui ont dit "oui" ont pris les armes et sont aujourd'hui au nombre des combattants. Ce qui explique (en partie) les pillages très graves enregistrés à Angré, le quartier de Cocody le plus proche d'Abobo.
- Certains prisonniers ont été "libérés" de toute forme d'obligation militaire et ont tenté de joindre qui leur famille qui des amis dans un district d'Abidjan déserté et où la méfiance règne. Bien entendu, ils seront tentés, alors qu'ils n'ont pas un sou vaillant et que les déplacements massifs font qu'ils ne retrouveront pas forcément leurs familles, de se payer sur le dos de la bête.

03.04.2011

Les forces pro-Ouattara tuent à Bahé "B" et à Dahoua

Vendredi 1er avril à Bahé "B", village situé à une dizaine de km de Duékoué dans la direction de Guiglo. Le chef de tribu, Nahi Doh, fonctionnaire à la retraite a été abattu par les troupes pro-Ouattara. On note dans le même village, l'assassinat de Bah Julien, responsable FPI de la localité. Ces deux villageois sont tous de l'ethnie guéré, majoritairement pro-Gbagbo.
Samedi 2 Avril, à Dahoua, village voisin, à 7 km de Duékoué, 3 jeunes ont été égorgés et 3 autres abattus par balles, par les forces pro-Ouattara qui continuent leurs exactions dans la région.
Dans la plupart des villages, la chasse à l'homme a commencé, jusque dans les campements.
Source: Villageois de Bahé "B" et de DAHOUA, via organisations humanitaires




03.04.2011

A Paris, l'angoisse des familles des résidents de Duékoué

Jours de grande angoisse pour les Ivoiriens vivant à l'étranger dont les familles se trouvent dans les vastes territoires désormais contrôlés par les troupes d'Alassane Ouattara. Je vous livre ici le témoignage d'une dame (localement assez connue, mais je ne donnerai pas leur identité pour éviter des représailles éventuelles contre les siens) qui a perdu tout contact avec sa belle-famille vivant à Duékoué.
"Depuis le 31 mars, nous n'arrivons à joindre personne au téléphone. Ni mon beau-père, ni mes beaux-frères. Le 29 mars, j'ai eu ma belle-soeur au téléphone. Elle m'a dit : "priez pour nous, on va nous tuer". Elle m'a expliqué que les rebelles étaient à l'entrée de la ville et que les jeunes guérés tentaient de résister à leur avancée. J'avoue que j'ai pensé qu'elle exagérait un peu. La dernière information que j'ai eue, c'est que les hommes de ma belle-famille se sont enfuis en brousse parce qu'ils étaient poursuivis par les rebelles. J'essaie de me convaincre qu'ils n'ont pas accès à des réseaux de téléphonie mobile parce qu'ils sont en brousse mais mon époux et moi nous sommes très inquiets.
Depuis plus d'un mois, mes beaux-parents avaient des indices. Ils nous disaient au téléphone : ça sent mauvais, on va se faire massacrer. Je croyais qu'ils exagéraient mais ils avaient raison."




04.04.2011

Qui sont les dozos, accusés des massacres à Duékoué ?

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« Il y a eu 330 personnes tuées à Duékoué de lundi à mercredi […]. La plupart ont été exécutés par les "dozos", des FRCI ». Cette accusation provient de l'ONUCI, considérée comme "très compréhensive" vis-à-vis desdites FRCI (Forces républicaines de Côte d'Ivoire, pro-Ouattara. Mais elle n'explique pas pour les profanes qui sont ces fameux "dozos", qui font partie des combattants du "président reconnu par la communauté internationale".
Les dozos sont les membres d'une confrérie ancestrale de chasseurs traditionnels en pays malinké (Nord de la Côte d'Ivoire, mais aussi Burkina Faso et Mali). Une confrérie à caractère ethnique, donc. Ils sont craints pour leurs supposés pouvoirs mystiques. Ils seraient invulnérables aux balles et créeraient l'effroi chez les militaires de l'armée ivoirienne. Les dozos sont en général analphabètes et frustes. Confinés dans un univers tribal, ils n'ont qu'une faible compréhension des concepts républicains.
Depuis le déclenchement de la rébellion le 19 septembre 2002, ils ont été accusés de nombreux massacres, mais ils n'ont jamais été démobilisés ni désarmés. Leurs dérives étaient prévisibles. Durant la guerre en Sierra Leone, leurs alter ego, les kamajors, se sont rendus coupables de graves crimes contre l'humanité.
Les massacres perpétrés par les dozos de Ouattara mettront forcément en lumière la nature réelle et le parcours des combattants des FRCI, qui se pose déjà en armée "officielle" de la Côte d'Ivoire. En dehors des dozos, on retrouve une majorité de jeunes civils, enrôlés sur une base ethnique après le 19 septembre 2002, des mercenaires "prêtés" par des Etats étrangers comme le Burkina Faso voisin et quelques officiers ou sous-officiers déserteurs des FDS, quasiment tous issus du Nord de la Côte d'Ivoire - ils sont désormais "secourus" par des déserteurs plus récents, sortis du rang des loyalistes lors de la crise postélectorale.
Est-il possible de faire d'un agglomérat de combattants soudés par le "revanchisme ethnique" une armée nationale, respectueuse de tous les individus et de toutes les ethnies du pays ? Difficile de répondre à cette question. Beaucoup plus difficile que de vanter le "professionnalisme" de l'assaut des FRCI sur Abidjan.

04.04.2011

Dans le département de Tiassalé, un chef de village et son fils tués par les forces pro-Ouattara

Yao Akô, chef de village d'Abrévé, à 120 kilomètres d’Abidjan, Abrévé, dans le département Tiassalé, a été tué le vendredi 1er avril. Egorgé par les FRCI d'Alassane Ouattara, parce que cet homme d'ethnie abbey est accusé d'être membre de la majorité présidentielle (LMP). Son fils a été lui aussi tué, à la suite d'une fusillade.

04.04.2011

Massacre des FRCI à Yopougon Gesco (en vidéo)

Les jeunes patriotes mitraillés qu'on peut voir sur cette vidéo sont des "barragistes" qui tentaient, selon de nombreuses sources, à bloquer la progression des forces d'Alassane Ouattara à Yopougon. Les images sont très dures. Il n'est pas conseillé aux "âmes sensibles" de cliquer sur le lien qui suit.http://www.youtube.com/watch?v=UkBX3WFrvhA

04.04.2011

L'ONU confirme des massacres commis par les forces pro-Ouattara à Guiglo et à Daloa

Extrait d'un communiqué publié par le Centre de nouvelles de l'ONU
Le Secrétaire général de l''ONU a exprimé « son inquiétude » et a prévenu le président ivoirien « que des forces pro-Ouattara aurait tué des civils dans la ville de Duékoué dans l''ouest du pays ». Le Secrétaire général a réaffirmé que les responsables devront rendre des comptes.
(...)

« Nous recevons des informations non confirmées mais préoccupantes sur des allégations de violations des droits de l''homme commises par les Forces Républicaines de Côte d''Ivoire (FRCI), les forces pro-Ouattara, lors de leur avancée dans Abidjan ainsi qu''à l''ouest du pays dans les zones de Guiglo et Daloa », a-t-il expliqué.
(...)
Les combats qui se déroulent depuis plusieurs jours ont compromis gravement la sécurité des personnes à Abidjan, dans l'Ouest et le Centre du pays où des massacres ont eu lieu. Des centaines de personnes ont été tuées à Duékoué et Guiglo, et les investigations en cours rapportent d'autres lieux d'exactions et de tueries, a indiqué le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) par communiqué.




05.04.2011

Des pasteurs et des fidèles tués dans une église (Salvator Saguès, Amnesty International) par les pro-Ouattara

"Les forces proches d’Alassane Ouattara, notamment un commando qui s’appelle le « commando invisible » dans le nord de la ville, commet des exactions extrêmement graves sur la population. Le « commando invisible » a mené il y a quelques jours un raid sur un petit village, au nord d’Abidjan, qui s’appelle « Anonkoi », où ils ont tué une quarantaine de personnes dans des conditions réellement atroces. Il y a vraiment un risque maintenant, de règlement de comptes, entre différents groupes politiques ou ethniques. Et on est vraiment au bord d’un conflit très grave.
(...)  Nous avons des informations, surtout à Duékoué. A environ six cent kilomètres à l’ouest d’Abidjan, lorsque les forces républicaines proches d’Alassane Ouattara ont pris la ville, ils s’en sont pris aux populations guéré, qui sont une ethnie proche de Laurent Gbagbo, et ont tué plusieurs personnes, y compris des pasteurs, y compris des fidèles dans une église. C’est gravissime !
Nous on en a recensé quelques dizaines (de morts), mais c’est très difficile de dire… Des femmes ont été violées… Et nous appelons notamment Alassane Ouattara, qui est actuellement en position de donner des ordres aux forces républicaines, de leur envoyer un message très clair ; d’arrêter de s’en prendre aux populations civiles, parce qu’on est vraiment en présence, dans certains cas, de réels crimes de guerre."
(Source rfi.fr)

05.04.2011

"Ils ont tué ma soeur de 16 ans devant moi" à Toulepleu

Ce témoignage a été recueilli par l'agence de presse catholique Misna.
"Ils sont arrivés de jour pendant que nous étions aux champs. Nous n'étions pas très inquiets, car nous savions qu'ils allaient finir par arriver mais nous pensions qu'ils continueraient leur route pour Abidjan. Nous nous étions dits : ce ne sera pas comme pendant la guerre. Ils veulent juste montrer qu'ils contrôlent tout le territoire. Mais en réalité, ils ont tué ma sœur de 16 ans devant moi et ont commencé à brûler les maisons et les greniers" : ainsi commence le poignant témoignage de Simon Taye, réfugié contacté par la MISNA au sein d'un groupe d'Ivoiriens au Libéria, où ils sont arrivés après un jour et demi de marche dans la forêt située entre les deux pays.
Le récit de Simon décrit le climat de terreur et d'insécurité qui a caractérisé ces derniers jours l'avancée des forces ralliées à Alassane Ouattara dans le Sud du pays. Le conflit amorcé par la crise postélectorale risque de replonger la Côte d'Ivoire dans la guerre civile, à quatre ans seulement de la conclusion de l'accord de paix entre le président sortant Laurent Gbagbo et les anciens rebelles, qui ont désormais repris les armes.
"C'était le 15 mars, je n'oublierai jamais ce jour. Les forces de l'ordre ne patrouillaient plus depuis quelques temps quand des hommes armés des Forces républicaines sont arrivés dans notre ville, à Toulepleau, qui est la dernière ville ivoirienne avant la frontière, à environ 130 kilomètres de Duékoué. Ils se sont mis à tirer sur n'importe quoi, y compris sur les civils, des femmes et des enfants sans défense. Certains ont été blessés aux mains et aux pieds et n'ont pas pu s'échapper pour se cacher dans la forêt comme je l'ai fait", raconte l'interlocuteur de la MISNA, qui a rencontré sur sa route "les habitants d'autres villages voisins qui fuyaient tous vers le Libéria. Comme moi, ils préféraient éviter les routes pour ne pas rencontrer de barrage".
Un grand nombre d'habitants de la région se sont réfugiés de l'autre côté de la frontière, au Grand Gedeh, qui abrite actuellement près de 30.000 Ivoiriens, originaires pour la plupart de l'Ouest du pays, où, selon l'organisation locale Caritas, les violences commises sur la population civile par les Forces républicaines se seraient avérées les plus atroces. "Ils sont tous profondément choqués. Certains n'ont pas parlé ni mangé pendant plusieurs jours. Et il y a des enfants parmi eux", indique à la MISNA Augustine Nugba, coordinateur local de Caritas. "Nous leur fournissons toute l'assistance dont nous sommes capables. Mais ces gens n'ont rien", explique-t-il, qualifiant leurs conditions de "très précaires". Dès que le gouvernement donnera son feu vert, ajoute-t-il, "nous construirons un camp de réfugiés pour faire face à l'urgence".
(Alessia de Luca Tupputi)





Compte-rendu des violences avant les élections, déjà :



25.02.2011

Côte d'Ivoire : le syndrome de Touba ou comment la presse étrangère choisit ses morts

Au moment où j'écris ces lignes, la guerre a recommencé en Côte d'Ivoire, même si personne n'ose encore le dire clairement. A Abidjan, dans le centre et dans l'ouest, les combats ont repris entre l'armée ivoirienne et les insurgés pro-Ouattara. Des combats à l'arme lourde. Immanquablement, les morts se multiplient. Comment la presse doit-elle évoquer les violations des droits de l'homme occasionnées par cette situation ? En Côte d'Ivoire, les journaux ont des identités politiques très marquées, et il semble acquis qu'ils auront plus de compassion pour les morts de leur camp. Mais la presse étrangère, a priori, a le recul nécessaire pour ne pas trier les morts.
A priori, seulement... Car la couverture de la Côte d'Ivoire de ces derniers mois met en lumière une "stratégie du récit" qui occulte volontairement les crimes des pro-Ouattara pour mieux accabler le "méchant" Gbagbo. Le dernier rapport d'Amnesty International, qui évoque les crimes et les agressions sexuelles commis de part et d'autre, illustre de manière magistrale cette stratégie du récit.
- D'une part, il y a les exactions des soldats loyalistes, abondamment commentés par les médias étrangers et par la division des droits de l'Homme de l'ONUCI. Amnesty ne fait que confirmer des allégations déjà rendues publiques par d'autres moyens.
- D'autre part, il y a les exactions des Forces nouvelles, rebelles au service d'Alassane Ouattara. Silence, on regarde ailleurs... Le lecteur naïf qui parcourt le rapport d'Amnesty découvre, effaré, une réalité occultée par des médias qui ont pourtant abondamment couvert la Côte d'Ivoire depuis octobre 2010.
J'entends déjà des justifications : la presse ne peut pas être partout. Et elle n'était pas au courant. Le problème est qu'un des faits évoqués par Amnesty International, la tuerie de Touba, qui a eu lieu en octobre 2010, quelques semaines avant le premier tour, était largement documentée. Les images des victimes ont été abondamment partagées sur Internet. Amnesty International écrit :
"En octobre 2010, des membres des FN ont sommairement exécuté onze hommes qu'ils avaient détenus et qui étaient accusés d'être des « coupeurs de route » et d'avoir assassiné plusieurs voyageurs à Touba (environ 680 km à l'ouest d'Abidjan). Bien que ces assassinats aient été publiquement connus (des membres des FN ont eux-mêmes filmé ces tueries, y compris les cadavres des 11 personnes abattues), aucune mesure concrète ne semble avoir été prise par les dirigeants des FN pour demander des comptes aux auteurs de ces actes."
Expéditions punitives contre des villages de leur zone qui ont eu le "malheur" de voter Gbagbo, tueries sur la base ethnique, viols... Comment se fait-il que ces exactions des Forces nouvelles n'aient pas été évoquées par la "grande presse" ? J'ai ma petite réponse : au nom de ce que je baptise "le syndrome de Touba". Il faut préserver l'image de ceux qui sont estampillés "bons", "gentils", "dignes d'être soutenus". Je me souviens d'octobre 2002. Près d'une centaine de gendarmes et leurs familes avaient été froidement assassinés par les "rebelles qui sourient" et jetés dans une fosse commune. Tout le monde savait : les journalistes sur place, qui ont même filmé l'envoi à la mort des victimes, les organisations des droits de l'homme. Mais il a fallu un mois pour que l'information sorte. C'était dans un rapport tardif... d'Amnesty International.
Utiliser les droits de l'homme dans des guerres d'influence internationales, c'est violer les droits de l'homme.

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