dimanche 19 décembre 2010

Décembre 1959 : Émeutes à Fort-de-France

Le 20 décembre 1959, un banal accrochage entre un automobiliste pied-noir et un motocycliste martiniquais déclenche 3 jours d'émeutes qui ébranlent durablement les Antilles. C'est la 1ère grande crise qui intervient après la départementalisation de 1946.
Trois jeunes martiniquais seront tués par la répression policière : Edmond Eloi, dit Rosile (20 ans), Christian Marajo (15 ans) et Julien Betzi (19 ans). Un des neveux de Frantz Fanon verra Marajo tomber sous ses yeux, à Fort-de-France.

Frantz Fanon, depuis l'exil, réagit aux événements dans un article d'El Moudjahid (n°58, 5 janvier 1960) :

"Le sang coule aux Antilles sous domination française
Ainsi donc les vieilles colonies elles aussi empruntent le chemin de la "rébellion". Ces fleurons de l'empire, ces pays castrés qui donnèrent tant de bons et loyaux services se mettent à bouger. (...)
Les services français d'information prétendent que l'origine de l'émeute serait un banal incident de circulation. Peut-être. Mais alors pourquoi cette subite ampleur ? D'où vient qu'une population réagisse avec tant de violence, tant de rage. D'où vient que les C.R.S. réagissent avec tant de précipitation, tant de désinvolture pour la vie de "concitoyens".
En réalité le problème est posé. Et c'est tant mieux. La fiction Antilles françaises, la formule "pour l'Antillais, il n'y a pas de problème" sont remis en question. Et c'est tant mieux.
Les vieux politiciens, assimilés, infestés du dedans, qui depuis longtemps ne représentaient que leurs intérêts médiocres et leur propre médiocrité doivent aujourd'hui être très inquiets. Ils découvrent soudain que les Martiniquais peuvent parfaitement être traités en rebelles par la France. Ils découvrent aussi l'existence d'un esprit rebelle, d'un esprit national."
(article reproduit dans "Pour la Révolution africaine")

Les événements ultérieurs donneront partiellement tort à Fanon. Le réveil bien réel d'un sentiment national antillais, manifesté à travers les affaires de l'OJAM en Martinique, du GONG en Guadeloupe, sera balayé par la riposte du pouvoir colonial : ordonnance Debré du 15 octobre 1960, qui impose d'office une mutation en France aux fonctionnaires antillais, guyanais et réunionnais soupçonnés de sympathies avec les mouvements indépendantistes ; mise en place du Bureau des Migrations d'Outre-Mers (BUMIDOM). Le frère de Frantz Fanon, Joby, sera visé par l'ordonnance de 1960, ainsi que les écrivains Edouard Glissant et Georges E. Mauvois. Plus de 50 ans après, les émeutes de décembre 1959 sont magnifiées par une certaine mouvance militante, mais ne représentent, au fond, qu'une explosion sociale ponctuelle, sans réelle portée politique profonde, proprement dite. D'aucuns diraient qu'il en a été de même pour la grande grève de février 2009, mais il est probablement trop tôt pour en tirer les conclusions...





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